<aside> 💡 Dans cette interview, Sophie Letourneur parle de la réalisation de son film "Voyage en Italie". Elle décrit les choix de caméra, de montage et d'étalonnage qui ont contribué à créer une esthétique particulière. Elle évoque également ses projets futurs, notamment une trilogie sur le couple et la narration, ainsi qu'un film avec Brad Pitt (sic). Elle explique que sa formation en arts plastiques l'amène à avoir une approche instinctive et empirique du montage, sans se soucier des normes de la fiction classique.

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Je suis Sophie Le Tourneur. et j'ai réalisé un film qui s'appelle Voyage en Italie, dans lequel je joue avec Philippe Catherine.

Bonjour Sophie le tourneur.

Bonjour Thibaut.

Votre dernier film en date, Voyages en Italie, au pluriel, sort au cinéma le 29 mars 2023. En plus de l'avoir réalisé, vous y incarnez Sophie, cinéaste parisienne en petite crise dans son couple parisien, ce qui vous conduit avec Philippe Catherine, qui joue Jean-Phi, à partir en Italie, plus précisément en Sicile, pour tenter de se sauver. Faut-il rendre le quotidien extraordinaire ou chercher l'extraordinaire ailleurs ? Vous signez un film aux multiples couches, puisque vous l'avez écrit à partir de votre propre expérience, pour faire de l'autobiographie une autodérision, et la rejouer dans une comédie quasi-documentaire, sous forme de road movie romantique, voire en fait anti-romantique, ou peut-être aromantique. Alors, avant de partir en Italie, un petit détour. Comme le notaient les cahiers du cinéma dans leur numéro de décembre 2022, Voyage en Italie est le premier film que vous autoproduisez avec votre société de production, que vous avez créée avec Camille. D'ordinaire, les questions de production sont un peu laissées de côté dans les interviews, mais il me semble que dans le cas de votre film, ce choix originel de comment et avec quoi se fabrique le film, donc il fait de sa forme, est important. Est-ce que vous avez pensé de concert la création de votre société et la création de ce film ?

Non. Je ne l'ai pas pensé de concert. En plus, ce film, j'ai commencé à l'écrire en 2016. Donc avant de tourner énorme. et je l'ai pensé comme une trilogie parce que c'est un ensemble de trois films. Oui, avec les mêmes personnages. Après, chaque film sera très différent. Et c'est vrai qu'au début, je n'avais pas pensé forcément créer ma boîte. Mais ça s'est présenté. comme ça. Et finalement, pour ce film-là, c'était la bonne option. Pour les deux autres films, j'espère pouvoir les faire en CoPro. Mais le fait d'avoir mené le projet d'A à Z... seule. Déjà ça m'a appris beaucoup de choses et en plus... ça peut me donner aussi une légitimité, ou au moins on peut me faire confiance pour des co-pros où je pourrais plus facilement travailler à ma façon, parce que finalement les questions de production, d'écriture, sont tellement particulières qu'elles ne rentrent pas vraiment dans des cases. Et donc je suis toujours obligée de les adapter d'une certaine façon. Et le fait de les faire moi, enfin de gérer la fabrication moi-même, c'est quand même beaucoup plus simple. Mais par contre, c'est vrai que je trouve ça bien d'être en co-pro quand même. Pour avoir déjà un dialogue avec un producteur et puis pour me sentir aussi moins seule dans le travail. Parce que déjà en tant qu'artiste, on est souvent assez seule, même si on est très entourée. Mais là, oui, j'avoue que par moments, je serais bien passée prendre un café à la boîte de prod, et puis voilà. au niveau de la fabrication même. J'ai pas vraiment eu de problème. c'est plus ce qu'il y a autour de la fabrication et toutes les questions de financement, de mondanité, on peut dire aussi tout ce qui est lié au milieu, d'être dans le milieu, de voir les bonnes personnes, etc., même en ce qui concerne la distribution, la sortie, tout quoi. Ça, c'est pas mon truc du tout. Et je pense que c'est bien que je... et travailler avec quelqu'un qui se charge de ça. parce que moi je crois pas que j'ai le... J'ai les outils.

Est-ce que vous avez pu vous extraire de certaines contraintes malgré un budget ? deux fois moins élevé que sur votre précédent film. en vous autoproduisant.

Oui. Oui, oui, je pense que ma façon de produire a ma façon. ça coûte moins cher. parce que c'est de l'artisanat, finalement. Donc là, j'ai tourné chez moi. J'ai tourné avec mes habits, donc j'ai fait à la fois la déco, les costumes. Enfin, même si je ne fais pas ça toute seule, je fais ça avec mes assistants. Mais disons que je ne cherche pas à reproduire une hiérarchie où... organisation de la structure d'une équipe qui serait classique. Donc évidemment, ça coûte moins cher. dans la construction de... la réunion de votre équipe de tournage, vous avez vraiment pris uniquement...

le minimum nécessaire pour ce qui était nécessaire pour votre film, en fait.

Ouais. Oui, le minimum. Après c'était aussi le cas finalement pour Enormes, on n'était pas nombreux, on était 6 ou 7 dans l'équipe. Mais euh... Sachant que je n'ai pas fait le film d'une façon très différente, en fait. C'est « j'aime pas les grosses équipes». Parce que dès qu'on a une grosse équipe, on est obligé d'être dans un fonctionnement qui est hiérarchique. C'est pas du tout ma façon de fonctionner, c'est pas ma façon de communiquer non plus. J'aime l'idée de la troupe, j'aime l'idée qu'on fait un film ensemble. et qu'on n'est pas en train d'exercer un métier. Donc je passe un peu mon temps à déprofessionnaliser, finalement. le tournage, déprofessionnaliser la post-prod des professionnelles, enfin tout. Chercher d'autres façons de fonctionner pour vraiment coller à l'esthétique du film et au processus de création du film. Qui est différent à chaque fois, en plus. Donc moi, ça me convient bien. Après, l'idée de dire qu'il faut un producteur parce que les réalisateurs, ils veulent dépenser le plus d'argent possible et qu'ils n'ont pas conscience. Enfin, le mythe de l'artiste qui n'a aucune conscience des choses matérielles, en tout cas moi ça ne me concerne pas. J'ai deux enfants, je ne sais pas, je ne suis pas sur un nuage au-dessus des réalités. Donc je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir quelqu'un qui m'empêche de dépenser de l'argent ou qui... ou qui considère que je vais faire des mauvais choix parce que je… Je touche pas à terre, j'en sais rien, non. Au contraire, je suis plutôt quelqu'un qui va limiter même les dépenses. quand il n'y en a pas besoin. Et aussi parce que... Je pense qu'il y a un plaisir du jeu, de retrouver quelque chose presque d'enfantin. et quasiment de ne pas considérer ça comme un... comme un métier, comme quelque chose qui fait partie de l'économie. Moi, pour prendre du plaisir à faire des choses avec les gens, il ne faut pas que je me dise que cette personne est là juste pour faire ses heures. La personne, elle est là parce qu'on se comprend, parce qu'ensemble on... On a une vision de ce film qu'on a envie de faire ensemble et on prend du plaisir à le faire, même si des fois c'est dur, même si on travaille beaucoup, même s'il y a une rigueur. Mais ça, ça n'a rien à voir avec le professionnel, entre guillemets, quoi. Il y a des gens qui sont dans une approche très professionnelle de ce qu'ils font. Mais c'est pas pour ça qu'ils font bien leur travail, hein, donc... Donc voilà, moi, en tout cas, mon plaisir. Il est dans l'illusion aussi, que c'est peut-être aussi une illusion parfois, mais que les gens sont... sont pas là pour juste faire leurs heures et qu'on est en train de faire quelque chose qui est au-delà de ça. Et je crois que c'était le cas.

Quand on revient à la création artisanale dont vous parliez.

Ouais, voilà, c'est ça. Et que finalement, je pense que si je fais des films, c'est aussi pour ce que je partage avec les gens avec qui je les fais. Je suis quelqu'un d'assez fusionnel, je crée des liens très forts avec les gens. et je fais tout pour que ça arrive et c'est un vrai travail aussi de confiance. Donc ça c'est pas possible avec une équipe de 40 personnes d'avoir un lien privilégié avec chacun, c'est juste pas possible.

Autoproduction et autobiographie, vous avez travaillé à partir d'enregistrements que vous avez réalisés avec votre mari.Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu de cette matière, de comment vous l'avez transformée en scénario, ou en tout cas en matière appelé à devenir film.

En fait, en 2016, je suis partie en voyage en Italie avec mon mari. Et pendant le voyage, c'est vrai que je voyais plein d'autres couples qui avaient l'air d'être exactement dans la même situation que nous. Les mêmes âges, avec le guide du routard aussi, parce qu'on se retrouvait, vu qu'on suivait tous le guide du routard, donc ils étaient dans les mêmes restos. Tout le monde a connu un peu ce... truc là. Et c'est ça qui m'a donnée envie, je me suis dit, tiens... C'est marrant, finalement, ce miroir, comme ça, de... On essaye tous de sauver quelque chose, qu'il y ait quelque chose qui arrive, qui soit quelque chose de l'ordre. d'une étincelle, mais en même temps, elle est provoquée en quatre jours, il faut que ça arrive, alors qu'en fait, c'est hyper stressant, c'est beaucoup de pression. Et donc je trouvais ça marrant, finalement, qu'on soit tous là à se battre pour retrouver quelque chose a quoi prendre part. Laisser l'air un peu s'engouffrer dans la maison dans le foyer. Et donc, j'ai commencé à prendre des notes. Et puis finalement, en rentrant, je me suis dit, ben tiens, on va faire un enregistrement, mais qui pour moi était un enregistrement assez factuel pour... écrire le scénario derrière. Et finalement, à force de travailler cet enregistrement, je l'ai trouvé tellement beau, je l'ai trouvé tellement émouvant, et je me suis dit, le vrai voyage, il est là aussi. Il est sur... sur le lien conjugal et qu'est-ce qui fait que malgré la forme d'enfermement qu'il y a autour du foyer et du lien conjugal, ce lien, il est très beau aussi. Il est très beau, mais il est double, il est complexe, il est… Mais il y a de l'amour, quoi. Et c'est pas... Ce n'est pas un amour qui est habituellement... développée dans les fictions, on est beaucoup plus dans la rencontre.

Ce n'est plus un amour passionnel ?